CHRONIQUE. Si l’intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives, elle présente aussi des risques et des failles qu’entreprises et candidats doivent apprendre à gérer.
L’adoption croissante de l’intelligence artificielle (IA) dans le recrutement rebat les cartes traditionnelles de l’embauche. Si les algorithmes promettent d’optimiser les processus, ils entraînent avec eux une série de questionnements, dont la place laissée au caractère unique de chacun et chacune d’entre nous.
Un des premiers risques est en effet l’homogénéisation des dossiers de candidature: distinguer ce qui fait la singularité d’un·e candidat·e devient de plus en plus difficile. Entre lettres de motivation qui se ressemblent et CV qui s’assurent de «matcher» au mieux avec les critères attendus, le dossier devient davantage une formule mathématique qu’il s’agit d’optimiser pour séduire l’ATS (Applicant Tracking System) que le reflet d’un parcours professionnel et d’une personnalité. Pour maximiser leurs chances, les candidat·e·s ont par exemple tout intérêt à proposer des CV dénués de fioritures et axés uniquement sur le texte, pour en faciliter la lecture algorithmique.
Des failles inquiétantes
Deuxième risque, celui de renforcer la fracture digitale. Si certain·e·s candidat·e·s maîtrisent parfaitement ces nouveaux outils, d’autres n’y sont pas encore familiarisé·e·s. Ce déséquilibre creuse un écart inquiétant entre ceux et celles qui savent «jouer le jeu» de l’IA et ceux et celles qui en sont exclu·e·s.
Mais l’IA, dans sa logique binaire, cache une autre faille: le biais algorithmique. Lorsqu’un·e recruteur·euse utilise plusieurs fois les mêmes critères dans l’ATS, la machine les intègre comme préférence standard, limitant ainsi la diversité des profils proposés. L’entreprise risque alors non seulement de passer à côté de talents insoupçonnés, mais aussi de renforcer involontairement des préjugés déjà existants en écartant systématiquement les mêmes profils.
Candidat·e·s de plus de 50 ans et jeunes sans diplôme, les deux publics soutenus par la Fondation Qualife dans leur recherche d’emploi ou de formation, sont ainsi particulièrement désavantagés par ces outils qui ne leur offrent pas la possibilité de mettre en lumière tout ce qu’ils ont à apporter à l’entreprise.
Face à ces enjeux, l’entretien physique apparaît comme un rempart. L’IA ne saurait remplacer l’interaction humaine, ni l’intuition et la capacité de perception d’un·e recruteur·euse face à un·e candidat·e. De plus, une entreprise ne peut se développer durablement avec des équipes totalement homogénéisées: la diversité des profils doit être à l’image de la société dans laquelle elle est ancrée.
En conclusion, si l’IA offre des outils puissants d’optimisation du recrutement, elle pose également un défi majeur en termes d’éthique, d’humanité et de complémentarité des équipes.
Pour les candidat·e·s, la clé réside dans l’adaptation. Il est nécessaire d’apprendre à utiliser ces outils numériques, mais avec discernement. Plutôt que de se fondre dans le moule imposé par l’IA, il faut apprendre à se démarquer tout en restant lisible par les algorithmes.
Pour les entreprises, leurs processus de recrutement devront trouver le juste équilibre entre l’efficacité technologique et l’authenticité d’une rencontre, sous peine de sacrifier la richesse de la diversité humaine et leur responsabilité sociétale sur l’autel du progrès.