Recrutement d’apprentis: quelle chance pour les profils atypiques?

CHRONIQUE. La saison est aux postulations pour les apprentis. Les entreprises ont tout intérêt à convier les candidats à un entretien ou à un stage pour éviter de passer à côté de profils moins linéaires mais qui ont d’autres qualités, estime notre chroniqueuse.

Le printemps est le pic d’activité lorsque l’on parle «recrutement d’apprenti·es». Partout en Suisse, des jeunes dès 15 ans peaufinent leur lettre de motivation et leur CV et scrutent les offres. Les entretiens battent leur plein et des contrats d’apprentissage seront signés jusqu’à la fin de l’été.

Trouver une place d’apprentissage n’est pas une chose facile: cela demande de l’investissement et du courage pour ne pas se laisser démotiver par les réponses négatives. D’autant que les places sont chères. Surtout à Genève qui compte le taux d’apprenti·es le plus faible de Suisse par rapport au total des emplois à plein temps (1.7% contre 4.7% en Suisse).

Pour les profils dits «atypiques», la compétition est particulièrement dure. A l’impossible, ils et elles sont pourtant tenu·es: accéder à une formation est leur meilleure chance de se prémunir d’un recours futur à l’aide sociale ou de longues périodes de chômage. L’enjeu est donc de taille sur le plan individuel comme sociétal.

Un discours plutôt que des faits

Il est dans l’air du temps de discourir sur l’importance de la personne, au-delà de son dossier. On entend que les critères de sélection évoluent, que le savoir-être surpasse les savoir-faire qui, eux, peuvent toujours s’acquérir, particulièrement quand on parle d’apprentissage.

Au sein de la Fondation Qualife où 64 jeunes sont actuellement accompagné·es dans leur recherche d’apprentissage, on souhaiterait voir ce discours se refléter davantage dans les faits. Le processus de recrutement d’un·e apprenti·e est avant tout un processus froid, où le digital prend une part toujours plus grande et où les exigences ne font qu’augmenter. Le rendez-vous sur le terrain ou l’échange par téléphone ont été remplacés par des documents à saisir en ligne, empêchant la rencontre entre deux êtres humains.

Mais quand un vieux bulletin de notes pèse plus dans le processus de sélection que la motivation intrinsèque à se former à un métier, quelles chances laisse-t-on à ceux et celles qui ont, à un moment donné et pour diverses raisons, décroché du système scolaire?

Des structures comme la nôtre aident des jeunes au parcours non linéaire à construire un projet professionnel solide, à avoir les meilleures chances possibles d’accéder à un apprentissage et à aller au bout de ce dernier grâce à un suivi durant tout le temps de la formation. Mais cela ne peut suffire: les entreprises ayant conscience de l’importance de former la relève (les diverses aides administratives et financières le facilitent) peuvent décider de favoriser la rencontre entre deux personnes pour une collaboration réussie. Engager un·e futur·e apprenti·e soutenu·e par une structure offrant un suivi durant l’apprentissage, tant pour les apprenti·es que leurs entreprises formatrices, permet de maximiser les chances de succès pour toutes les parties.

Un entretien ou un stage

Comme il est difficile de découvrir un talent de musicien à quelqu’un que l’on prive de son instrument, il est difficile de repérer les qualités humaines et les compétences d’un·e candidat·e que l’on ne convie pas à un entretien ou à un stage. Les processus de recrutement aux critères standardisés font passer à côté de talents et de candidat·es qui ont beaucoup à apporter aux entreprises. Avoir un parcours non standardisé, c’est être doté·e de compétences précieuses comme l’adaptabilité, l’imagination, le sens de la reconnaissance.

Soyons-en conscient·es et demandons-nous si nous offrons assez de chances à certain·es jeunes atypiques et pourtant tellement motivé·es.

Une question de culture et de genre

Demander de l’aide. Trois mots en apparence simples, mais qui, pour beaucoup, impliquent une certaine lutte psychologique avec soi-même pour y arriver. Cette difficulté varie d’une personne à l’autre, mais également selon des paramètres culturels et de genre.

En effet, admettre que l’on a besoin d’assistance peut représenter un grand défi dans une société comme la nôtre qui valorise l’indépendance et l’autonomie, et pointe d’un doigt réprobateur les échecs. On a tendance à demander de l’aide qu’en dernier recours, quand «vraiment on a tout essayé et qu’on n’y arrive pas». Ainsi, cette demande est vécue comme un aveu implicite d’incapacité à résoudre ses propres problèmes. Comme la preuve de notre faiblesse, de notre incompétence.

Dans les cultures qui mettent l’accent sur la communauté et le soutien mutuel, la demande d’assistance est considérée au contraire comme une preuve de confiance qui vient renforcer les relations interpersonnelles. La démarche prend alors une tout autre signification et en est grandement facilitée.

Les études montrent également des différences significatives entre hommes et femmes quant à la disposition à demander de l’aide. Les hommes, dont on valorise la virilité et l’indépendance, hésitent à montrer une quelconque vulnérabilité en demandant de l’aide. Les normes culturelles sont plus clémentes pour les femmes, dont on valorise l’empathie et la communication. Mais ces dernières peuvent parfois vouloir lutter contre ces stéréotypes, en prouvant justement qu’elles peuvent y arriver seules.

Reconnaître ses propres limites

Cette difficulté à demander de l’aide devrait nous questionner. Face à l’adversité, est-il plus admirable de s’obstiner à y arriver seul·e ou de reconnaître ses propres limites et de les contourner en allant frapper aux bonnes portes?

J’ai personnellement une admiration profonde pour les gens qui demandent de l’aide. Cette démarche implique une vraie connaissance de soi, de l’humilité, de la proactivité, de l’optimisme, du courage et de l’humanité. Que de belles qualités!

Et lorsque l’on parle recherche d’emploi, il est d’autant plus important de déstigmatiser la demande d’aide. Le temps qui passe dessert les personnes qui recherchent un travail. Ainsi, aller chercher du soutien le plus rapidement possible pour s’outiller est la meilleure chose à faire. La marche n’est pas toujours facile à franchir, elle est néanmoins rarement regrettée.

Voilà donc une bonne résolution pour 2024: transformer notre regard sur la demande d’aide et ne plus attendre pour aller chercher du soutien.

Lien à l’article sur le site du journal Le Temps

Revenir à la liste des chroniques

Contactez-nous

Les prises de contact se font par téléphone et nous vous recevons sur rendez-vous.
Contactez-nous durant les heures de bureau ou écrivez-nous à l’aide du formulaire ci-dessous, nous vous rappellerons dans les meilleurs délais.

+41 22 700 84 61

+41 22 700 22 95

+41 22 700 22 97