Décrochage scolaire, le malentendu

CHRONIQUE. Face à des jeunes en rupture dans leur parcours, la tendance est de croire que le problème vient des matières enseignées. Une erreur qui n’est pas sans conséquence, avertit notre chroniqueuse


Quand on entend parler de décrochage scolaire, on pense souvent qu’il s’agit d’un rejet des matières enseignées. On en déduit alors que les décrocheurs ne veulent plus entendre parler théorème de Pythagore ou accord du participe passé.

Si cette déduction n’est pas entièrement fausse, elle est loin d’être complète. Et il serait risqué de se laisser séduire par une telle simplification car nous passerions alors à côté des bons remèdes.

Confusion entre cause et conséquence
Le décrochage scolaire désigne le fait d’interrompre un parcours scolaire avant d’avoir obtenu un premier diplôme, comme un Certificat fédéral de capacité (CFC), une maturité gymnasiale ou un diplôme de l’Ecole de culture générale (ECG). En Suisse romande, cela concerne un jeune sur dix. Il ne s’agit donc aucunement d’un phénomène isolé.

Lorsque votre métier consiste à amener ces jeunes à reprendre et aller au bout d’une formation certifiante, on se plaît à vous rappeler régulièrement qu’il ne faut surtout pas prononcer le mot «école, cours, leçon» si vous ne voulez pas les faire partir en courant. La remédiation scolaire semble être à notre mission d’insertion ce que Voldemort est au célèbre roman de J.K. Rowling: «ce dont on ne doit pas prononcer le nom».

Cette réaction est aussi erronée que regrettable pour plusieurs raisons.

Premièrement, elle montre une confusion entre cause et conséquence. La plupart des décrocheurs ne fuient pas le contenu de ce qu’on leur enseigne. Ils fuient l’école, dans tout ce qu’elle représente de règles et de relations interpersonnelles. Le problème initial est ainsi rarement la matière, mais plutôt une situation personnelle particulièrement complexe ou un douloureux harcèlement scolaire. Comment agir sur les conséquences si on comprend mal les causes?

Une question d’environnement
Deuxièmement, elle nous amène à contourner ce qui est pourtant essentiel. Accompagner un jeune décrocheur vers une formation professionnelle est rarement possible sans une remise à niveau scolaire. On pourra toujours travailler sur les codes professionnels, l’orientation, la situation sociale ou le dossier de candidature, tant qu’un jeune n’aura pas prouvé à son futur employeur qu’il a la capacité de suivre la partie scolaire de sa formation, on ne lui proposera pas de contrat. Dans un processus d’insertion professionnelle, la question de la remédiation scolaire doit ainsi être abordée. Mais pas de la même manière qu’à l’école bien sûr! Si vous recréez le même environnement, alors vous risquez fort d’obtenir le même résultat.

Enfin, cela nous mène à conclure à tort que le français et les maths sont la propriété exclusive de l’école et qu’en rejetant l’école, ces jeunes ont à jamais rejeté la matière. Maîtriser le français, c’est comprendre les informations, c’est défendre ses idées, c’est argumenter. Et décider de son heure de départ en déduisant de son heure de rendez-vous le temps de trajet, c’est faire une soustraction. Si vous proposez de la remédiation scolaire avec la bonne pédagogie, les jeunes décrocheurs non seulement ne partent pas en courant, mais prennent au contraire du plaisir à (ré) apprendre et éprouvent une vraie fierté de constater leurs rapides progrès.

Lien à l’article sur le site du journal Le Temps

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