CHRONIQUE. Alors que la société suisse se tourne toujours davantage vers le temps partiel, on exige des apprentis plus qu’un temps plein. Ce principe représente un frein à l’attractivité de la formation professionnelle, regrette notre chroniqueuse
En Suisse, on aime l’apprentissage dual et c’est heureux. Dans les cantons romands, on souhaiterait même qu’il soit davantage prisé par les jeunes et les entreprises. De nombreux acteurs s’investissent pour en faire la promotion et s’interrogent sur les différents freins.
On a récemment beaucoup parlé de la question des cinq semaines de vacances annuelles qui rend l’apprentissage peu attirant en comparaison de la voix du gymnase ou de la formation générale (13 semaines de vacances). Une pétition munie de plus de 176 000 signatures a été déposée à la Chancellerie fédérale le 21 août pour demander huit semaines de congé pour les apprentis. Les enjeux de bien-être, d’équilibre et de durabilité dans la formation ont ainsi été rappelés.
Ce dont on parle moins est la différence de rythme exigé des apprentis tout au long de l’année par rapport… à la moitié de la société active.
Entreprise, école, cours interentreprises et révisions
Fin 2024, 59,5% des femmes actives travaillaient à un taux inférieur à 90%, ainsi que 20,6% des hommes. Deux millions de personnes actives ont ainsi fait le choix de ne pas travailler à temps plein, auxquelles il faut ajouter celles qui travaillent à 90%.
Vous me rétorquerez peut-être que ce n’est pas toujours un choix. C’est vrai. Mais je répondrai qu’une enquête menée par gfs-zürich montre qu’en Suisse, une personne sur trois souhaite réduire son temps de travail alors que seuls 13% aimeraient l’augmenter.
Pourtant, les apprentis doivent faire davantage qu’un 100%. Trois à quatre jours en entreprise, un à deux jours d’école, des cours interentreprises… et des révisions le soir et le week-end.
Dès lors, quel message leur envoie-t-on? Qu’ils doivent apprendre un métier en tenant un rythme dont la société ne veut plus. Qu’on leur impose des conditions qui n’épanouissent pas.
«Aligne le format sur l’époque»
Je regrette que nous ayons du mal à être innovants et ambitieux sur ces questions. Qu’on soit vieille école. Attendre que d’autres pays aient des idées, les testent et les diffusent pour les adopter, n’est pas la partie de l’ADN helvétique que je revendique le plus. On a été en retard pour le suffrage féminin (1971, contre 1918 en Autriche, 1944 en France et 1946 en Italie), pour le droit à l’avortement (2002, contre 1975 en Autriche et en France, et 1978 en Italie) et nous le sommes toujours sur les congés parentaux. Essayons de ne pas l’être sur les questions d’emploi et de formation.
Le propos n’est pas d’abaisser l’ambition pédagogique, mais bien d’aligner le format sur l’époque.
Si l’on veut attirer et retenir des jeunes dans les filières professionnelles, il faut se confronter au principe de réalisme: le travail à plein temps, ce n’est plus dans l’air du temps. Notre économie a su s’adapter à l’arrivée des femmes sur le marché du travail, puis à la démocratisation du temps partiel. Faisons de même pour l’apprentissage dual, notre fierté nationale.



