CHRONIQUE. «Un salaire décent n’est pas la responsabilité des employeurs», a affirmé Roland Müller, directeur de l’Union patronale suisse, comme le révélait «Blick» la semaine passée. Un propos qui a suscité de vives réactions, dont celle de notre chroniqueuse
Il y avait plein de sujets que j’avais envie de partager avec vous pour cette chronique. J’avais même déjà griffonné quelques lignes. Puis j’ai lu les propos du directeur de l’Union patronale suisse et tout le reste m’a semblé secondaire.
D’abord, il a fallu que je retrouve mes bras tombés à terre: sans, c’est compliqué d’écrire. Puis que je relise parce que j’avais peut-être mal compris. Mais non, le message d’erreur 404 a continué de s’afficher dans mon cerveau.
«Un salaire décent n’est pas la responsabilité des employeurs. On ne peut pas demander à l’économie d’assurer la couverture des besoins vitaux. Il y a une limite.» Je suis d’accord avec Roland Müller sur un point: il y a une limite. Une limite à l’indécence. Et j’ai beau avoir été entrepreneuse pendant dix ans et avoir étudié les finances, elle est pour moi franchie.
Pour quoi travaille-t-on?
S’il est normal que travailler à temps plein ne suffise pas pour vivre dignement, on travaille pour quoi au juste? Et depuis quand l’Union patronale défend-il l’Etat providence qui couvre les besoins vitaux parce qu’un salaire complet ne le fait pas?
A Genève, 14% des bénéficiaires de l’aide sociale ont des revenus, alors même que le salaire minimum existe! La question des working poor est un véritable défi et si l’économie s’en dédouane, comment le résoudre? Parce que dans working poor, il y a certes «poor» mais il y a aussi «working». Et ça, a priori, c’est quand même un peu une responsabilité d’employeur.
Dès le lendemain, un économiste en chef venait modérer les propos de son directeur «mal interprétés». Moi, personne n’est venu modérer ma colère, pas même cette nouvelle prise d’opinion pavée d’évidences comme «assurer l’existence signifie maintenir les emplois et non les interdire», «en moyenne en Suisse, les gens qui travaillent sont moins pauvres».
«Fournir ce qu’on coûte»
Et puis cette phrase: «Les travailleurs doivent au moins fournir ce qu’ils coûtent.» Au tour de ma mâchoire de se décrocher. Que signifie «fournir ce qu’on coûte»? Fournir le travail pour lequel on est payé? Mais dès lors, du moment que la personne fait son job, elle pourrait avoir droit à un salaire qui lui permette de vivre, non? Ou est-ce que ça veut dire rapporter à son employeur au moins ce qu’on lui coûte? Dans ce cas, je devrais licencier toute mon équipe, parce qu’ils me coûtent plus qu’ils ne me rapportent: aider les autres dans leur recherche d’emploi, comme le fait la Fondation Qualife, ce n’est pas rentable pour ceux qui le font.
Monsieur Müller écrivait il y a quelques années que «les salaires sont de plus en plus en phase avec les résultats de l’entreprise, un membre de direction gagne en moyenne 3,4 millions de francs», on comprend donc que la question de l’accès à l’emploi et de la précarité dans le travail, ce n’est pas vraiment son pain quotidien.
Pour ma part, je m’offre un petit tour chez l’ostéo pour tout remettre en place, et je poursuis mon engagement pour une économie inclusive et humaine. Parce que quoique certains en disent, c’est possible, c’est beau et c’est responsable.



