CHRONIQUE. Le monde de l’entreprise imagine les «digital natives» parfaitement à l’aise avec les outils numériques. Mais les jeunes se retrouvent en réalité souvent désemparés dès la recherche d’emploi.
La caricature du candidat en recherche d’emploi de plus de 50 ans qui n’est pas à l’aise avec les outils informatiques est un vieux classique. Les jeunes bénéficient du préjugé inverse, mais ne le méritent pas davantage.
Surnommés les digital natives, ils sont nés avec internet. Ils possèdent tous un smartphone, sont hyperconnectés, passent des heures sur internet et sont très à l’aise avec les réseaux sociaux. Cette aisance cache pourtant une réalité: les jeunes ont avant tout un usage récréatif d’internet à partir d’un mobile. Beaucoup sont en revanche démunis dès qu’il s’agit d’utiliser des outils numériques comme un traitement de texte ou une boîte e-mail.
Des recherches sur internet difficiles
Alexandre* a 19 ans. Lorsque son job coach lui demande s’il a une version modifiable de son CV afin de pouvoir le mettre à jour, ses yeux s’écarquillent. Il ne saisit pas la question. La distinction entre un document Word et un PDF ne lui est aucunement évidente. Il ne sait d’ailleurs pas faire une mise en page, et pense qu’il faut quinze minutes pour rédiger un CV et une lettre de motivation. Camille*, 21 ans, s’est engagée à trouver cinq entreprises actives dans le domaine de formation visé afin de solliciter des entretiens d’information. Quand elle avoue ne pas savoir comment faire cette recherche sur internet, ce sont les yeux de son job coach qui s’arrondissent. Au sein de la Fondation Qualife, on constate depuis longtemps que les jeunes adultes sont bien moins habiles avec l’informatique que ce qu’en pense l’inconscient collectif.
Un quart des jeunes de 15 à 24 ans ne possèdent pas de compétences numériques avancées en Suisse. Ces lacunes sont corrélées avec le niveau de formation: 58% des personnes de plus de 25 ans sans formation post-obligatoire n’ont pas ou ont peu de compétences numériques, alors que ce chiffre descend à 16% chez les personnes au bénéfice d’une formation de degré tertiaire (OFS, 2019).
Ces données mettent en évidence un cercle vicieux: moins on est formé et moins on a de compétences numériques. Mais moins on a de compétences numériques et moins on a de chance de se former…
En effet, trouver une formation ou un (premier) emploi implique de maîtriser un certain nombre de compétences informatiques de base: savoir trouver des places d’apprentissage sur les sites spécifiques, savoir rédiger une lettre de motivation sur un traitement de texte, savoir convertir un courrier en format PDF, savoir ajouter une photo à un CV, savoir remplir un formulaire de candidature en ligne, savoir passer un entretien d’embauche en visio, savoir ajouter une pièce jointe à un e-mail, etc.
Faire fi de leurs besoins
Dès lors, partir du postulat que les jeunes savent faire tout cela sous prétexte qu’ils ont installé Snapchat et publié leurs premières photos avant même que nous, moins jeunes, ayons réussi à retrouver notre Apple ou Play Store, c’est faire fi de leurs difficultés et donc de leurs besoins.
Celles et ceux qui recrutent ou préparent cette future génération vont devoir choisir entre proposer des alternatives comme des CV vidéo ou former les digital natives aux outils numériques professionnels.
L’inclusion numérique est un vrai enjeu de société, et dans ces réflexions importantes, n’oublions pas un pan complet de notre population. Qui plus est quand on sait que «par la jeunesse vient la promesse d’un avenir meilleur» (Joseph Joffo).